Legallais - (Incendie)

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21 septembre 1906: le drame. Neveu fonce sur la jetée avec un appareil, ouvre l'objectif et le lendemain propose à la vente cette carte. L'évènement permet ici de dater très précisément le cliché. L'Avenir d'Arcachon a évidemment publié un article à la Une :


Avenir d’Arcachon N° 2807 du 23/9/1906

Incendie du Grand-Hôtel

Dans la nuit du jeudi au vendredi 21 septembre, le feu s’est déclaré au Grand-Hôtel et l’a complètement détruit ; c’est le plus grand malheur industriel qui put atteindre la ville d’Arcachon.

Vers 2 heures du matin, une forte odeur de brûlé se dégageait dans l’aile de l’Est. Le feu avait pris dans une pièce inoccupée du premier étage, gagné les cloisons, atteint les charpentes, et peut-être aussi par suite des conduites de gaz et d’électricité, se propageait d’une manière effrayante dans toutes les directions du vaste établissement.

L’apport de l’eau était difficile à effectuer. M. Ferras s’y mit avec son personnel et espéra circonscrire le danger ; mais les pompes et l’organisation de la Ville sont insignifiantes.

M. Ferras et sa famille déployèrent un courage et un dévouement à toute épreuve, pour appeler et grouper les moyens d’extinction, et quand ils virent que la marche de l’incendie devenait instantanée et foudroyante, il s’évertuèrent à sauver la vie des clients et clientes, très nombreux à cette époque de l’année.

Grâce à des prodiges d’efforts et d’activité, ils parvinrent à faire évacuer cet immeuble considérable, sans qu’il y ait de mort à déplorer. En vêtements de nuit, les voyageurs se répartirent à l’Hôtel Continental en forêt et dans les différents hôtels de la Ville.

Le feu n’étant circonscrit dans aucun endroit, mais réparti sur un embrasement général, les plafonds commencèrent à s’effondrer, et l’œuvre de destruction s’accomplit avec une rapidité vertigineuse et terrible.

A 4 h. du matin, notre splendide et malheureux Grand-Hôtel ne représentait qu’un immense amas de flammes s’élançant entre les gros murs en langues de feu, à une hauteur énorme. Si au lieu d’une nuit très calme, le moindre vent avait soufflé, tout le quartier pouvait être atteint.

Le Gand-Hôtel, propriété appartenant à M. Léon Lesca, et d’une valeur de deux millions, avait été construit en 1865. Tout y était monumental : les escaliers, ascenseur, établissement balnéaire et d’hydrothérapie, salle de garage automobile, un immense hall de rez-de-chaussée, des salons de 25 mètres de long sur 10 de large, salons de l’Est, salons de l’Ouest, restaurant d’hiver, restaurant vitré d’été, des terrasses, des balcons, 300 chambres, et des salons aussi aux étages meublés luxueusement, en faisaient un des plus beaux, des plus spacieux, des plus fastueux hôtels du Sud-Ouest.

M. Léon Lesca, notre ancien conseiller général, qui a fait tant de bien à ce pays, qui a toujours représenté et défendu l’intérêt général avec une infatigable sollicitude, qui a toujours fait et fait encore tant de sacrifices de temps et d’argent pour Arcachon, la station et la région, venait récemment d’éprouver, dans les incendies de forêts de la semaine dernière, une perte de 500 hectares, dont 400 hectares de bois à Salaunes, et 120 à St-Jean-d’Illac.

Ce nouveau sinistre dans son aveugle fatalité, ce Grand-Hôtel détruit à 40 ans de sa date de construction, est comme nous le disions tout-à-l’heure, un malheur privé et public.

Au milieu de ses jardins, entre le boulevard et la plage, il ne reste plus que les quatre murs de ce grandiose édifice carré ; tout s’est écroulé, s’est effondré sur le centre ; tout a été englouti dans l’incandescence du foyer.

Espérons pour notre pays que ce malheur ne sera pas irréparable et irréparé, notre vitalité urbaine en serait irrémédiablement atteinte.

E.G.


Une semaine plus tard, le journal publie une revue de presse de son cru:

Avenir d’Arcachon N° 2808 du 30/9/1906

Pompe à vapeur

L’incendie du Grand-Hôtel a été raconté diversement dans les journaux locaux et régionaux.

« LA VIGIE », journal municipal, ne pouvait pas constater que des pompes à bras sont insuffisantes pour projeter de l’eau à 16 mètres de hauteur, et que seule une pompe à vapeur serait plus utile que des fusils entre les mains des pompiers ; que cette dépense urbaine eut été préférable à bien des dépenses électorales ou somptuaires figurant au budget. Elle se plaint, suivant le cliché habituel, des administrations précédentes pour dégager l’administration actuelle. Elle dit ceci :
« Malheureusement il est du traité passé avec la Compagnie des Eaux en 1882 comme de celui conclu avec la Compagnie du Gaz. L’assemblée communale d’alors a négligé de prévoir des clauses entraînant pour les Compagnies certaines obligations.
« Malheureusement les conventions en cours ont été conclues pour une durée de 75 ans et ne prendront fin que le 31 décembre 1956 ! »

Après cette sortie contre la Compagnie des eaux et la Compagnie du gaz, et les anciens maires, la Vigie qui tient à démontrer que c’est le lapin qui avait commencé, reproche au Grand-Hôtel de n’avoir pas eu dans les combles un réservoir d’eau suffisant.

Qu’un autre immeuble brûle faute de pompe à vapeur aspirante et foulante ayant suffisamment de pression pour envoyer de l’eau sur les toits, on répondra qu’il aurait suffit d’avoir en permanence dans chaque grenier un bassin de réserve… Voilà les raisonnements municipaux.

« LA PETITE GIRONDE », qui probablement n’avait pas été renseignée par son nouveau correspondant, informe, comme faits sensationnels, que « MM. Bourdier et Canton étaient sur le théâtre de l’incendie » en omettant d’ajouter que M. le Maire était comme d’ordinaire absent, mais que le lendemain il a offert un déjeuner aux pompiers. Et le surlendemain elle rectifie ses autres informations.

« LA FRANCE » consacre aussi un article de rectification aux erreurs d’évaluation commises et parues précédemment ; soit sur l’importance des pertes, soit sur les causes de l’incendie. Ce reportage écrit dans le même esprit que celui de la Vigie, semble émaner de la même personne, mais comme là elle n’est pas tenue à la déférence obligatoire de la feuille municipale, elle termine en risquant le seul raisonnement logique que nous avons formulé tout d’abord :
« Comble d’ironie, on a manqué d’eau au moment de la pleine mer, alors que les eaux du Bassin baignaient la terrasse du Grand-Hôtel. Si les pompiers, au lieu d’une pompe à bras disposaient d’une pompe à vapeur aspirante et foulante, ils eussent pu inonder l’immeuble d’eau salée, au lieu d’assister impuissants aux progrès du sinistre. »

M. le Maire et ses correspondants de journaux sont tellement absorbés par d’autres occupations, qu’il faut excuser ces imperfections de services d’informations rectifiées, et que de plus, une séance d’octobre fera probablement la promesse d’une pompe à vapeur à pression aspirante et foulante.

Pour que l’eau monte assez haut,
C’est la Pompe qu’il nous faut !

 

Textes recueillis par Aimé Nouailhas